Réparation du préjudice corporel

LA LIQUIDATION DU PRÉJUDICE CORPOREL – par Thibault Lorin

Les règles régissant la preuve de la liquidation du préjudice corporel, si elles obéissent au principe de droit classique posé par l’article 9 du code civil, présentent néanmoins plusieurs particularités.

Celles-ci sont notamment liées d’une part à des contraintes de recueillement et aux risques de dépérissement et d’autre part à l’appréciation médicale effectuée par un tiers, en l’occurrence un expert, désigné amiablement ou judiciairement.

Ce dernier point concerne essentiellement les préjudices extrapatrimoniaux qu’ils soient temporaires ou définitifs.

Le débat, essentiellement médical et technique, implique que chaque partie soit accompagnée de professionnels du secteur médico-légal pour prendre part active à l’évaluation du préjudice et notamment discuter à armes égales avec l’expert désigné.

En revanche, le rôle des parties est essentiel concernant l’évaluation des postes de préjudices patrimoniaux, s’agissant notamment des dépenses de santé actuelles, des frais futurs ou des différentes adaptations du quotidien de la victime (que ce soit le véhicule ou le logement).

En effet, ceux-ci sont indemnisés par les Tribunaux sur la base de justificatifs, indépendamment de toute évaluation médicale.

La nécessité pour la victime de constituer un dossier implique donc pour cette dernière de conserver toutes les preuves des dépenses imposées en lien avec son accident, même après plusieurs années.

Par ailleurs, conformément au principe de la réparation intégrale, il incombe au responsable et à son conseil de vérifier chaque poste d’indemnisation sollicité au regard des justificatifs fournis.

La question prend une acuité particulière avec les jeunes victimes, la jurisprudence invite donc à déterminer un revenu de référence qui aurait été celui de la victime en l’absence d’accident.

Ce revenu est déterminé en fonction de différentes considérations comme le cursus effectué, les ambitions professionnelles de la victime et son milieu socio-professionnel.

Un arrêt rendu par la Cour d’appel de Bourges le 6 mars 2008 a donné une définition pointue de ce préjudice. La Cour indique que « Le préjudice ainsi subi s’analyse en une perte de chance d’accéder au milieu professionnel auquel il pouvait prétendre ».

Cela impose d’étudier les chances d’accès à un milieu professionnel donné par l’étude des résultats du cursus universitaire ou scolaire de la jeune victime.

En effet, la liquidation du préjudice professionnel est prépondérante, notamment lorsque la victime se trouve dans l’incapacité, suite à l’accident, d’exercer son métier.

L’appréhension et l’évaluation de ce poste de préjudice par le juge témoignent du principe de la réparation in concreto, c’est-à-dire en connaissance de la personne blessée, à laquelle on adapte chaque demande d’indemnisation.

Si les séquelles et l’évaluation médico-légale du préjudice sont identiques, la réparation sera différente en fonction de la spécificité de la victime.

Cette spécificité est au cœur de la reconversion, souvent proposée à une victime ne pouvant plus exercer son métier, mais théoriquement accessible à d’autres postes ou d’autres fonctions.

Les juges du fonds, habituellement confrontés à des propositions de reconversion refusées par les victimes d’accidents, avaient tendance à limiter certains postes de préjudices comme la perte de gains professionnels futurs, estimant que les séquelles de l’accident intervenaient seulement pour partie comme cause de l’impossibilité de retrouver du travail.

En effet, le refus d’une victime reconnue médicalement apte à travailler, mais refusant d’exercer une fonction qui n’était pas la sienne avant l’accident, était considéré comme étant pour partie l’autre cause de l’impossibilité de retrouver un travail.

Par conséquent, l’indemnisation de la perte de gains professionnelle future n’était indemnisée que partiellement.

Par un arrêt rendu le 26 Mars 2015 (N° 14-16.011, 499), la deuxième chambre civile de la Cour de cassation est venue mettre un terme à ce raisonnement :

« Attendu que l’auteur d’un accident doit en réparer toutes les conséquences dommageables ; que la victime n’est pas tenue de limiter son préjudice dans l’intérêt du responsable ».

Appliquant à l’indemnisation du préjudice professionnel le principe dit de mitigation, la Haute juridiction sanctionne l’obligation faite à une victime d’accepter une fonction étrangère à son précédent emploi pour limiter son préjudice dans le seul intérêt du responsable.

Cette décision est naturellement guidée par l’idée que l’indemnisation qui sera versée à la victime au titre de son préjudice professionnel pourra être l’occasion, pour cette dernière, de disposer des moyens suffisants pour aboutir à la reconversion professionnelle de son choix.

Par conséquent, il est essentiel de conserver tous les éléments permettant d’évaluer ces résultats. Il peut s’agir de simples bulletins de notes ou d’attestations mais également des diplômes obtenus.

Il est à noter que si la demande d’indemnisation formulée par la victime apparaît excessive, il appartient au responsable de solliciter la production de ces éléments.

Cela étant, la Cour de cassation est souvent soumise à des difficultés nouvelles.

Tout d’abord, tant pour des raisons d’opportunité que d’intimité, elle écarte la nécessité de production de justificatifs pour l’indemnisation de  certains postes de préjudice patrimoniaux comme l’assistance tierce personne, en retenant de manière constante : «L’assistance d’une tierce personne ne pouvait ni être exclue en cas d’aide familiale, ni subordonnée à la production des justificatifs des dépenses effectuées. » (Cass crim 25 septembre 2012 n°11-83.285).

Ce dernier poste de préjudice témoigne également du souci de personnalisation de l’indemnisation qui doit guider le magistrat.

Le principe de non affectation des dommages et intérêts empêche toute obligation de la victime d’utiliser l’indemnisation obtenue en réparation d’un poste de préjudice aux besoins directs nécessités par ce dernier.

La question s’est posée de savoir si l’abandon de ses fonctions professionnelles, par le proche d’une victime nécessitant une aide humaine importante, pouvait être considéré comme indemnisé par l’indemnité allouée par le juge en réparation du besoin d’assistance tierce personne.

Par un arrêt rendu le 24 octobre 2013, la deuxième chambre civile de la Cour de cassation a répondu par la négative dans le cas d’espèce où une mère avait abandonné sa profession pour s’occuper de sa fille nécessitant une présence humaine 24 heures/24.

La Cour d’appel ayant indemnisé intégralement le besoin d’assistance tierce personne de la victime ainsi que le préjudice professionnel et de retraite subi par ricochet par sa mère, la question de la double indemnisation a été posée à la Haute juridiction.

Par un attendu précis, cette dernière a jugé : « qu’en l’état de ces constatations et énonciations, la cour d’appel, en réparant intégralement le préjudice d’assistance de tierce personne de Mme Jessica Y…, n’a pas procédé à une double indemnisation ».

Suivant une logique de personnalisation et d’adaptation, la Cour de régulation juge que le préjudice d’un besoin en tierce personne subi par une victime directe ne coïncide pas avec le préjudice professionnel d’une victime indirecte décidant d’interrompre ses fonctions pour s’occuper de cette dernière.

Naturellement, il appartient à la victime indirecte, avec l’aide de son conseil, de démontrer que l’assistance portée à la victime directe occasionne un préjudice professionnel et financier évaluable.

Permettre que l’évaluation d’un préjudice corporel soit la plus complète, donc la plus favorable, implique un important travail de constitution d’un dossier en amont nécessitant de s’entourer de professionnels compétents.

Je reste bien entendu à votre entière disposition afin de répondre à toutes vos questions sur le sujet.

Me Thibault LORIN - 2

Thibault LORIN

Article initialement paru dans le journal « Les Affiches de Grenoble et du Dauphiné ».

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