Réparation du préjudice corporel

PRÉCISIONS SUR LE PRÉJUDICE D’AFFECTATION DE LA VICTIME INDIRECTE – Par Thibault Lorin

Civ 2 ; 23 mars 2017 n°16-13350

Par une décision rendue le 23 mars 2017, la Cour de cassation a apporté une précision intéressante sur l’aptitude d’une victime indirecte à bénéficier d’une indemnisation tant de son préjudice d’affection que de son déficit fonctionnel permanent et de ses souffrances endurées sans que puisse lui être opposé l’interdiction d’une double indemnisation.

D’une part la haute juridiction affirme la dissemblance de ces postes de préjudices, ne comblant pas la même perte et d’autre part elle fournit aux juges les éléments permettant de les caractériser et de les dissocier.

Au cas d’espèce, une femme mariée depuis plus de 35 ans avait perdu son mari suite à son assassinat. Cette lourde perte avait entrainé chez la veuve une dépression réactionnelle ayant nécessité un suivi psychiatrique régulier avec prescription d’antidépresseur ayant eu pour conséquence une incapacité de reprendre son travail à temps plein.

Suite à ce décès, la veuve avait saisi la Commission d’indemnisation des victimes d’infraction et sollicité une expertise afin de déterminer les préjudices résultant de l’atteinte à son intégrité physique mais également, et le débat se trouvait posé, de son préjudice d’affection lié à la perte.

En effet, les préjudices subis par une victime indirecte, résultant du décès d’un proche sont de deux ordres :

  • les préjudices patrimoniaux avec la prise en charge des frais divers ainsi que celle liée à la perte de revenus ;
  • les préjudices extrapatrimoniaux avec le préjudice d’affection.

Cela étant, le décès d’un proche peut être parfois extrêmement lourd à gérer pour sa famille et son entourage et entrainer une réaction physiologique chez certains.

Dans cette occurrence, la situation dépasse la simple souffrance morale consécutive à un deuil et constitue un état de deuil pathologique se manifestant par des troubles physiologiques chroniques.

Il est en effet de jurisprudence constante que «  le retentissement pathologique avéré que le décès a pu entrainer chez certains proches, à l’origine d’une atteinte personnelle invalidante d’ordre psychique est indemnisable en tant que tel ». (CA Aix en Provence 25 février 2016 n°81/2016)

Cette atteinte personnelle est généralement reconnue lorsque son démontrés un suivi médical, psychiatrique et médicamenteux suite au deuil.

Dans ce cas précis, la victime indirecte est également atteinte dans sa chair, subi une limitation de ses capacités corporelles et peut être indemnisée à ce titre, devenant ainsi victime directe.

Au cas d’espèce, cette limitation ne faisait pas débat puisqu’une expertise avait été ordonnée et permis d’isoler « une dépression réactionnelle à la suite du décès de son mari, dépression qui a été indemnisée au titre des souffrances endurées (4/7) et du déficit fonctionnel permanent (10 %) »;

En revanche, une indemnisation au titre du préjudice d’affection avait également été accordée à la veuve.

Le Fonds de garantie des victimes des actes de terrorisme et autres infractions estimait que cette indemnisation du préjudice d’affection en tant que victime indirecte faisait double emploi avec l’indemnisation perçue au titre des souffrances endurées et du déficit fonctionnel permanent en tant que victime directe.

La Cour de cassation invalide cette thèse par un attendu très pédagogique : « Mais attendu qu’ayant justement énoncé que, parfois les préjudices subis par les proches d’une victime peuvent être de deux ordres, les uns subis dans leur propre corps, les autres résultant du rapport à l’autre, le déficit fonctionnel permanent et les souffrances endurées relevant du premier ordre, le préjudice d’affection du second et qu’ayant, d’une part, relevé dans l’arrêt partiellement avant dire droit du 6 février 2014 auquel les parties se référaient, qu’il résultait du rapport d’expertise judiciaire que Mme Y…-X…avait présenté à la suite de l’assassinat de son mari un syndrome dépressif majeur ayant nécessité un suivi très régulier par un psychiatre avec prescription de médicaments et entretiens psychothérapeutiques, qu’avant la consolidation de son état, fixée au 1er juin 2010, elle avait enduré des souffrances évaluées à 4 sur une échelle de 7 compte tenu du traumatisme et de l’intensité des soins et qu’elle conservait, après consolidation, un déficit fonctionnel permanent de 10 %, d’autre part, retenu que Mme Y…-X…, qui a perdu son mari à 53 ans et qui décrit le manque qu’elle ressent dans tous les aspects de leurs rapports, exprime des sensations qui ne relèvent pas d’une atteinte à l’élan vital ou à la santé ni d’une douleur mais de l’atteinte à un sentiment qui pourrait exister sans les conséquences pathologiques qu’elle subit, la cour d’appel, qui a ainsi caractérisé l’existence, en l’espèce, d’un préjudice d’affection résultant, pour Mme Y…-X…, de la douleur d’avoir perdu son conjoint, distinct de celui résultant de l’atteinte à son intégrité psychique consécutive à ce décès réparé au titre des postes des souffrances endurées et du déficit fonctionnel permanent, n’a pas, en allouant la somme critiquée, indemnisé deux fois le même préjudice ; ».

La Cour de cassation distingue tout d’abord les deux types de préjudice, l’un ayant pour finalité d’indemniser le préjudice subi dans son corps et l’autre celui relevant du rapport avec la personne décédée.

Les souffrances endurées et le déficit fonctionnel permanent, éventuellement subi par une victime dans les suites du décès d’un proche, relèvent de leur sphère personnelle liée à leurs corps, tandis que le préjudice d’affection indemnise la perte du rapport qu’il entretenait avec le défunt.

Surtout, la Cour de cassation pose un critère permettant de caractériser le préjudice d’affection, à savoir « l’atteinte à un sentiment qui pourrait exister sans les conséquences pathologiques qu’elle subit ».

Une nouvelle fois, la Cour de cassation fait preuve de méthode dans la construction de l’indemnisation du préjudice corporel.

Surtout par la détermination d’un critère souple de distinction, elle rappelle qu’il appartient aux tribunaux, dans le cadre de leur pouvoir souverain d’appréciation, de caractériser avec rigueur chaque postes de préjudices indemnisables.

[1] Il convient néanmoins de convenir que la faute médicale n’entrainant qu’une perte de chance, c’est une fraction du dommage corporel qui sera mis à la charge du professionnel de santé, représenté par son assureur. L’ONIAM sera probablement également mis en cause pour la prise en charge du complément de l’indemnisation, sans que puisse être opposé la subsidiarité de son intervention puisque cette dernière n’est pas appeler à jouer pour l’indemnisation des infections nosocomiales.

 

Me Thibault LORIN - 2

THIBAULT LORIN

 

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