La Cour de cassation (Cass civ 1 5 Juillet 2017 n°16-20363) a profité de la période estivale pour statuer sur un cas d’espèce relatif aux sports d’hivers.
Si la date de l’arrêt, pouvait, au regard du contexte de l’environnement des faits jugés, porter à sourire, il n’en allait pas de même de l’accident soumis à l’appréciation de la haute Cour.
En effet, le 11 janvier 2009, un jeune garçon de 15 ans chute alors qu’il skiait sur une piste de ski artificielle et présente un grave traumatisme crânien.
Un expert amené à se prononcer sur cet accident, isole trois hypothèses probables :
- Soit le jeune garçon a heurté violemment la piste dans sa chute avant de passer sous le filet de protection ;
- Soit il a heurté une attache de ce filet ;
- Soit il a subi ce traumatisme lors de son passage forcé entre la jupe caoutchouté qui protège le filet et le sol.
Estimant que la commune avait manqué à son obligation de sécurité en n’attirant pas suffisamment l’attention des parentes et celle de leur fils sur la nécessité de porter un casque, ces derniers ont intenté une procédure judiciaire afin d’engager la responsabilité contractuelle de la commune.
La Cour d’appel de Douai retient la responsabilité de la commune et la condamne à indemniser intégralement le préjudice de l’adolescent, sans pour autant déterminer la cause exacte du traumatise dans les trois hypothèses soulevées.
La commune forme un pourvoi en cassation, nourrissant plusieurs griefs à l’encontre de l’arrêt :
- Tout d’abord, une faute ne peut engager la responsabilité de son auteur que si elle est la cause directe du dommage, or en l’espèce, en présence de trois hypothèses probables du traumatisme, il appartenait à la Cour d’imputer de façon certaine la survenance du dommage à un manquement ;
- S’agissant d’une simple obligation de sécurité de moyen, il ne saurait être reproché à la commune de ne pas avoir imposé le port du casque, qui n’est pas réglementaire, alors qu’elle en avait justement mis à disposition de ses usagers de manière ostentatoire ;
- Qu’en ne prenant pas un casque alors qu’elle se savait inexpérimentée, la victime avait commis une faute participant pour partie à son préjudice.
La Cour de cassation rejette le pourvoi :
« Mais attendu, d’abord, qu’après avoir constaté que, le jour de l’accident, la piste synthétique était couverte de neige et de quelques plaques de verglas et que de telles conditions de glisse étaient inhabituelles pour les usagers, la cour d’appel a relevé, par motifs propres et adoptés, que la commune n’avait pas attiré l’attention de ces derniers, au moment de la remise de leur équipement, sur l’existence de risques particuliers liés à l’état de la piste et sur la plus grande opportunité de porter un casque, certes mis gratuitement à leur disposition, mais dont le port n’avait pas été spécifiquement recommandé ; qu’elle a ajouté que le filet de protection, situé à une distance restreinte de la fin de la piste, était dépourvu de boudins matelassés, que le fait qu’il ait été peu tendu et placé à quinze ou vingt centimètres de hauteur par rapport au sol permettait le passage d’un skieur ayant chuté sous la jupe de protection caoutchoutée et que, malgré ce risque, le filet était attaché à l’arrière par des chaînes cadenassées non protégées ; qu’elle a pu en déduire que la commune avait manqué à son obligation de sécurité de moyens ;
Attendu, ensuite, que la cour d’appel a procédé à la recherche visée par la troisième branche du moyen, en retenant que M. X…, qui n’avait pas de connaissance générale de la pratique du ski, n’avait adopté, lors du choc comme dans le moment qui l’a précédé, aucun comportement imprudent ou inadapté au regard des circonstances, susceptible de le considérer comme responsable, même partiellement, de son propre dommage ;
Et attendu, enfin, qu’elle a énoncé, par motifs propres et adoptés, que, quelles que soient les trois hypothèses envisagées par l’expert pour expliquer les circonstances précises de l’accident, l’absence de port de casque avait nécessairement contribué à la survenance du traumatisme crânien dont M. X…a été victime et que son dommage avait été aggravé par le fait d’être passé sous la barrière de protection pour se retrouver gisant en dehors de la piste ; que, sans se fonder sur des motifs dubitatifs, elle en a déduit, à bon droit, que, quelle que soit l’éventualité considérée, la faute de la commune était à l’origine du préjudice subi et que celle-ci devait réparation intégrale à la victime ; »
Quoique extrêmement favorable pour la victime, cet arrêt, tout en rappelant qu’une commune n’est théoriquement tenue qu’à une obligation de moyens, alourdit considérablement les déclinaisons que ces moyens doivent présenter, se rapprochant plus d’une obligation de moyen renforcé.
En effet, la Cour rappelle que les conditions météorologiques étaient mauvaises, que la commune n’avait pas spécifiquement recommandé le port du casque, n’avait pas assuré le caractère suffisamment étanche des filets de protection (en l’espèce le jeune garçon avait glissé sous le filet sans être retenu) et n’avait pas matelassé les boudins auxquels était attaché le filet.
Si les griefs retenus à l’encontre des installations de protection sont parfaitement compréhensibles, il faut convenir que celui lié au port du casque peut apparaitre lourd puisque la commune mettait ce matériel à la disposition de ses usagers alors que le port n’est pas imposé par la règlementation.
Cela étant, s’agissant d’une piste de ski parfaitement artificielle, ouverte à des fins purement économiques, ne présentant pas par définition les mêmes caractéristiques d’environnement, de matériaux ou même de protection que peut présenter une piste naturelle, c’est sous cet aune que la Cour a apprécié les obligations de la commune et convenu qu’une simple mise à disposition des casques n’était pas suffisante et qu’il fallait en recommander le port, d’autant plus que c’est elle qui mettait le matériel à disposition des skieurs.
S’agissant de la faute de la victime, sans surprise, la Cour s’est rattachée à l’appréciation souveraine des juges du fond qui avaient estimé que le jeune garçon n’avait pas commis d’imprudence au regard de son niveau et des circonstances.
En revanche, l’apport de la Cour est intéressant sur la question de la causalité puisque, bien que la cause exacte du traumatisme ne soit pas rapportée, elle admet l’engagement de la responsabilité de la commune.
L’argumentation retenue par la Cour est néanmoins convainquant puisque à chaque hypothèse évoquée, elle rattache un manquement de la commune :
- l’hypothèse d’un traumatisme sur la piste était imputable à l’absence du port du casque ;
- l’hypothèse d’un traumatisme lors du heurt d’une attache du filet était imputable à l’absence de matelassage de celle-ci ;
- l’hypothèse d’un traumatisme lors de son passage forcé entre la jupe caoutchouté qui protège le filet et le sol était imputable au caractère insuffisamment étanche du filet.
C’est pour cela que la Cour d’appel avait pertinemment jugé que « quelque soit l’éventualité considérée, la faute de la commune était à l’origine du préjudice subi et que celle-ci devait réparation intégrale à la victime ».
Une petite dose d’incertitude sur les causes d’un dommage n’empêche donc pas une victime d’être indemnisée si l’ensemble des causes envisagées sont rattachées à un manquement du responsable. Il faut néanmoins convenir que la haute juridiction fait preuve de rigueur et glissant sur la piste du régime la responsabilité contractuelle, elle cherche de plus en plus à imposer l’obligation de résultat.
Thibault LORIN