Responsabilité des produits défectueux

Les précisions jurisprudentielles récentes sur le régime de responsabilité des produits défectueux : une évolution mais non une révolution – par Thibault Lorin

Le régime de responsabilité des produits défectueux, issu de la Directive n°85/374/CEE du Conseil de l’union européenne du 25 juillet 1985, visant à une harmonisation, en la matière,  des législations des différents états membres vient de faire l’objet de deux récentes décisions de la Cour de cassation d’une part et  de la Cour de justice de l’Union européenne d’autre part.

Ces arrêt,  concernant le régime général pour le premier (Cass Chambre mixte du 7 juillet 2017 n°15-25.651) et son application spécifique au contentieux de la vaccination pour le second (CJUE 21 juin 2017, Sanofi Pasteur c. CPAM Hauts-de-Seine, aff. C-261/15) s’ils apportent d’indéniables précisions ne semblent pas pour autant révolutionner la question.

  • Sur l’arrêt rendu par la Chambre mixte du 7 juillet 2017 n°15-25.651

La question était celle de l’application, d’office, de ce régime de responsabilité par le juge en l’absence d’invocation spécifique par les parties.

En l’espèce, un agriculteur avait acquis, d’une coopérative agricole en 2004 un herbicide commercialisé sous le nom de « Lasso » par la société Monsanto, ladite coopérative l’ayant elle-même acquis deux ans plus tôt soit en 2002.

Ayant été intoxiqué par des vapeurs provenant de cet herbicide, l’agriculteur a décidé d’engager la responsabilité de la société MONSANTO et s’est interrogé sur la possibilité d’agir sur le fondement de la responsabilité des produits défectueux.

La particularité de l’espèce était que l’herbicide litigieux était commercialisé depuis 1968, soit antérieurement à l’entrée en vigueur de la loi n°98-389 du 19 mai 1998 ayant transposé la Directive du 25 juillet 1985.

Estimant que la mise en circulation du produit était antérieure à l’adoption de la Directive, l’agriculteur a considéré que le régime de la responsabilité des produits défectueux n’était pas mobilisable.

Il a donc recherché la responsabilité de la société MONSANTO sur le fondement de la responsabilité délictuelle prévu par l’article 1382 du code civil (devenu 1240 du même code depuis l’ordonnance n° 2016-131 du 10 février 2016 portant réforme du droit des contrats, du régime général et de la preuve des obligations) et obtenu gain de cause.

La société MONSANTO ayant formé un pourvoi en cassation, la Cour se saisissant d’office d’un moyen de pur droit conformément à l’article 620 du code de procédure civile, s’est interrogée sur l’obligation qu’aurait eu la Cour d’appel, d’agir de la même sorte, en appliquant d’office le régime de responsabilité des produits défectueux.

En effet, tout d’abord, il ressortait des faits jugés par la Cour d’appel, d’une part que le produit ayant causé le dommage avait été acquis en avril 2002 par la coopérative agricole à la société MONSANTO ce qui rendait possible que cette dernière en ait été le producteur et avait pour conséquence que la date de mise en circulation de ce produit, qui ne saurait résulter de la seule autorisation de mise sur le marché (datant de 1968)[1], pouvait être postérieure à la date d’effet de la directive susvisée.

Aussi, il était établi que l’agriculteur imputait l’origine de son dommage à l’insuffisance des mentions portées sur l’étiquetage et l’emballage du produit, ce qui caractérise la définition de la défectuosité d’un produit au sens de l’article 1386-4 du code civil (devenu 1245-3 du même code depuis l’ordonnance n°2016-131 du 10 février 2016).

La question de l’application du régime de responsabilité des produits défectueux était donc pertinente, mais la Cour d’appel devait être se saisir d’office de cette question ?

Il faut rappeler que depuis un arrêt rendu par l’assemblée plénière de la Cour de cassation le 21 décembre 2007 n°06-11.343 :

« Mais attendu que si, parmi les principes directeurs du procès, l’article 12 du nouveau code de procédure civile oblige le juge à donner ou restituer leur exacte qualification aux faits et actes litigieux invoqués par les parties au soutien de leurs prétentions, il ne lui fait pas obligation, sauf règles particulières, de changer la dénomination ou le fondement juridique de leurs demandes ».

Cet arrêt pose pour principe que si le juge n’a pas l’obligation de changer le fondement juridique des demandes qui lui sont soumises par les parties, certaines règles particulières peuvent l’y contraindre.

La Chambre mixte précise, par cet arrêt, que les dispositions d’ordre public issues du droit de l’Union européenne sont une de ces règles particulières :

« Attendu que si le juge n’a pas, sauf règles particulières, l’obligation de changer le fondement juridique des demandes, il est tenu, lorsque les faits dont il est saisi le justifient, de faire application des règles d’ordre public issues du droit de l’Union européenne, telle la responsabilité du fait des produits défectueux, même si le demandeur ne les a pas invoquées ».

Il appartient donc aux juges du fonds d’appliquer d’office le droit de l’union européenne, même si les parties ne l’invoquent pas.

Si cette précision est opportune, elle semble pour autant parfaitement logique.

En effet, l’absence d’obligation pour le juge de changer le fondement juridique des demandes qui lui sont soumise est fondé sur le droit national, en l’occurrence l’article 12 du code de procédure civile.

Or les dispositions issues du droit de l’Union européenne ayant une valeur supérieure à la loi depuis le fameux arrêt Jacques Vabres rendu par la même chambre mixte le 24 mai 1975 (n° 73-13556). Il était donc attendu que la Cour de cassation attire l’attention des juges du fonds sur la primauté du droit de l’Union et l’obligation pour le juge national d’en assurer la pleine effectivité.

 

  • Sur l’arrêt rendu par la CJUE 21 juin 2017, Sanofi Pasteur c. CPAM Hauts-de-Seine, aff. C-261/15

Cet arrêt s’inscrit dans le riche contentieux de la vaccination contre l’hépatite B, susceptible de provoquer des maladies démyélinisant, dont la sclérose en plaque.

Dès lors que cette vaccination est obligatoire, les victimes développant cette maladie, disposent d’une possibilité d’indemnisation par l’Office nationale des accidents médicaux et des infections nosocomiales conformément à l’article L 3111-9 du code de la santé publique.

Cela étant, d’autres personnes décident d’agir parallèlement ou exclusivement à l’encontre du producteur du vaccin sur le fondement de la responsabilité du fait des produits défectueux.

Cette action implique de déterminer d’une pour la défectuosité du produit mais également le lien de causalité entre ce dernier et le dommage. Or l’incertitude scientifique sur la défectuosité ou non du produit perturbe fortement  l’application  de ce régime.

Initialement la Cour de cassation estimait que l’incertitude scientifique était un obstacle à l’admission d’un lien de causalité entre vaccination contre l’hépatite B et maladie démyélinisant (Cass civ 1 23.09.2003 n°01-13063).

Puis un important arrêt du 22 mai 2008 a bouleversé cette première approche, la Cour décidant : « Attendu, cependant, que si l’action en responsabilité du fait d’un produit défectueux exige la preuve du dommage, du défaut et du lien de causalité entre le défaut et le dommage, une telle preuve peut résulter de présomptions, pourvu qu’elles soient graves, précises et concordantes ; » (Cass civ 1 22.05.2008 n°05-20317).

Depuis cette décision la preuve tant du défaut que du lien de causalité entre ledit défaut et le dommage peut donc être ramenée par des présomptions graves, précises et concordantes

En d’autres termes, cela implique au juge du fond de décider au cas par cas, en fonction des faits de l’espèce, si un tel rapport de causalité peut être retenu, sur la base de présomptions des faits de l’homme.

En revanche, la Cour de cassation ne pouvait exercer son rôle d’unification de la jurisprudence puisque cette question relevait du pouvoir souverain d’appréciation du juge du fond, ce qui risquait de conduire à de fortes divergences entre les cours d’appel, comme l’illustre les faits ayant donné lieu à l’arrêt commenté.

Au cas d’espèce, vacciné à trois reprises entre décembre 1998 et juillet 1999 contre l’hépatite B un homme a présenté dès août 1999 des troubles de santé conduisant au diagnostic de sclérose en plaques.

Une action fût intentée contre le producteur du vaccin et par jugement rendu le 4 septembre 2009, le Tribunal de Grande Instance de Nanterre accueillit la demande.

Selon le juge, le vaccin était défectueux et il existait des présomptions graves, précises et concordantes quant à l’existence d’un lien de causalité entre la vaccination et la sclérose en plaques.

Le laboratoire ayant interjeté appel, la Cour d’appel de Versailles confirma le jugement relativement à la causalité, mais estima en revanche que la défectuosité du produit ne pouvait se déduire de son implication dans la réalisation du dommage et rejeta la demande de responsabilité.

La victime forma un pourvoi en cassation et dans l’application de sa jurisprudence de 2008, la haute Cour, jugeant que la preuve de la défectuosité du produit pouvait être rapportée par des présomptions graves, précises et concordantes et que la Cour d’appel s’était contenté d’un simple raisonnement considération générale sur le rapport bénéfice/risque de la vaccination, cassa l’arrêt.

Saisie d’un renvoi après cassation, la Cour d’appel de Paris a, comme la Cour d’appel de Versailles, également estimé que le caractère défectueux du produit n’était pas prouvé, mais, et alors que rien ne l’y contraignait, elle jugea également que le demandeur ne rapportait pas d’éléments constituant des présomptions précises graves et concordantes.

Ainsi les Cours d’appel de Paris et de Versailles, sur quelques années d’intervalle avaient apporté deux solutions et appréciation radicalement différentes sur la question de la causalité dans une même espèce.

La victime décida donc de saisir à nouveau la Cour de cassation en invoquant indirectement une présomption de droit, au même titre que le Conseil d’état, en vertu de laquelle la proximité temporelle entre la vaccination et l’apparition de la maladie combinée à l’absence d’autres causes identifiées de celle-ci obligerait le juge du fond à retenir l’existence d’un lien de causalité.

Saisie du pourvoi la Cour de cassation, estimant que la question de cette preuve révélait une réelle complexité et surtout un choix politique relevant de la compétence de la Cour de justice de L’Union Européenne, a saisi cette dernière de deux questions ainsi résumé :

  • Le régime de responsabilité prévu par la directive de 1985 permet-il de retenir tant l’existence d’un défaut du vaccin que le lien de causalité entre celui-ci en l’absence de toute certitude scientifique par un système de présomption de faits de l’homme relevant du pouvoir souverain du juge du fond ? ;
  • En cas de réponse négative à la première question est-il possible de retenir l’établissement d’une présomption de droit portant sur le lien entre le défaut attribué au vaccin et le dommage.

Par l’arrêt rendu, la Cour de justice de l’Union Européenne a répondu que :

  • « 1)      L’article 4 de la directive 85/374/CEE du Conseil, du 25 juillet 1985, relative au rapprochement des dispositions législatives, réglementaires et administratives des États membres en matière de responsabilité du fait des produits défectueux, doit être interprété en ce sens qu’il ne s’oppose pas à un régime probatoire national tel que celui en cause au principal en vertu duquel, lorsque le juge du fond est saisi d’une action visant à mettre en cause la responsabilité du producteur d’un vaccin du fait d’un défaut allégué de ce dernier, il peut considérer, dans l’exercice du pouvoir d’appréciation dont il se trouve investi à cet égard, que, nonobstant la constatation que la recherche médicale n’établit ni n’infirme l’existence d’un lien entre l’administration du vaccin et la survenance de la maladie dont est atteinte la victime, certains éléments de fait invoqués par le demandeur constituent des indices graves, précis et concordants permettant de conclure à l’existence d’un défaut du vaccin et à celle d’un lien de causalité entre ce défaut et ladite maladie. Les juridictions nationales doivent toutefois veiller à ce que l’application concrète qu’elles font dudit régime probatoire n’aboutisse ni à méconnaître la charge de la preuve instituée par ledit article 4 ni à porter atteinte à l’effectivité du régime de responsabilité institué par cette directive.
  • 2)      L’article 4 de la directive 85/374 doit être interprété en ce sens qu’il s’oppose à un régime probatoire reposant sur des présomptions selon lequel, lorsque la recherche médicale n’établit ni n’infirme l’existence d’un lien entre l’administration du vaccin et la survenance de la maladie dont est atteinte la victime, l’existence d’un lien de causalité entre le défaut attribué à un vaccin et le dommage subi par la victime serait toujours considérée comme établie lorsque certains indices factuels prédéterminés de causalité sont réunis. »

En résumé, la Cour de justice de l’Union européenne consacre l’évolution en validant le système de la preuve tant du défaut du vaccin que du lien de causalité entre la vaccination et le dommage via un système de présomption du fait de l’homme.

En revanche, elle rejette la possibilité d’un système de présomption de droit, ce qui aurait été une véritable révolution.

Il faut déduire de cette décision que la jurisprudence de 2008 précitée, confiant cette question au pouvoir souverain des juges du fonds est validée et continuera à s’appliquer.

Cela impliquera la présentation d’une thèse solide et bien construite, tant par la victime pour l’établir, que par les laboratoires pour la discuter, dans chaque cas d’espèce, pour démontrer l’existence ou non de présomptions graves précises et concordantes et ainsi emporter la conviction du juge.

En revanche, il est dorénavant définitivement établi que l’incertitude scientifique n’est pas un obstacle à la reconnaissance du caractère défectueux d’un vaccin ainsi qu’à la détermination du lien de causalité entre cette défectuosité et le dommage.

Le cabinet MBPTD est à votre entière disposition pour apporter son expertise sur ces questions techniques.

 

Me Thibault LORIN - 2

Thibault LORIN

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