Réparation du préjudice corporel

La différence entre les notions d’imputation et de subrogation rappelée par la Cour de cassation – par Thibault Lorin

A l’occasion d’un arrêt rendu le 11 juillet 2017, la Chambre criminelle de la Cour de cassation a parfaitement illustré la différence entre les deux notions phare régissant le recours des tiers payeurs en matière d’indemnisation d’un préjudice corporel, à savoir la notion de subrogation et celle d’imputation.

Le versement des prestations par les organismes sociaux suscite une question essentielle étant la possibilité pour cet organisme de récupérer la prestation versée. Dans l’affirmative il sera considéré que le tiers payeur dispose d’un recours subrogatoire illustrant la notion de subrogation.

La seconde question concerne l’obligation faite au juge de déduire la prestation versée de l’indemnité finale allouée à la victime.

Il est ici estimé que la finalité du versement étant d’indemniser pour partie le préjudice de la victime, la prestation est considérée comme indemnitaire et doit être déduite sous peine de procéder à une double indemnisation.

Ce mécanisme évoque la notion d’imputation.

Les règles régissant la subrogation du tiers payeur et l’imputation de la prestation sur l’indemnité finale ont été fixées par la loi du 5 juillet 1985 n°85-677. C’est la loi qui détermine limitativement les prestations ouvrant droites à recours (article 29 à 34 de la loi).

Or ce recours, légalement encadré, est rendu possible soit en fonction de la nature des tiers payeurs, auquel cas la question du caractère indemnitaire n’est plus véritablement essentielle (article 29  alinéa 1 de la loi du 5 juillet 1985), soit en fonction de la nature indemnitaire de la prestation qui elle-même est ou déterminée par le législateur (article 29  alinéa 1 de la loi du 5 juillet 1985), ou déduite par le juge (article 33 de la loi du 5 juillet 1985, article L. 131-2, al. 2, et L. 211-25 du code des assurances).

Ces questions techniques et complexes ne sont pas toujours évidentes à manier comme le témoigne l’abondante jurisprudence rendue en la matière.

Cela étant, il convient de noter que si le fait qu’un tiers payeur n’ait pas de recours subrogatoire n’empêche pas toujours l’imputation, en revanche le fait qu’un tiers payeur dispose d’un tel recours commande toujours l’imputation de la prestation.

Or, la simple potentialité de la subrogation d’un tiers payeur à l’occasion d’une procédure en indemnisation suffit à entrainer l’imputation de la prestation versée sans qu’il soit nécessaire que le tiers payeurs exerce ou soit recevable à exercer son recours à l’occasion de cette procédure.

C’est cette règle que rappelle la Cour de cassation à l’occasion de cette espèce.

Il s’agissait d’un accident de la circulation à l’issue duquel la conductrice responsable de la collision avait été condamnée par la juridiction pénale statuant sur intérêts civils avec son assureur à indemniser une victime motarde de son préjudice.

Or la victime avait reçu des prestations de la part de son propre assureur, lequel mis en cause à l’occasion de la procédure conformément à l’article 388-1 du code de procédure pénale n’a néanmoins pas exercé de recours subrogatoire.

Sur ce point, il convient de rappeler qu’un recours en garantie n’est pas possible devant le juge répressif, seul l’action civile en réparation du dommage causé par l’infraction peut être portée devant ce juge en même temps que l’action publique. Cela étant, l’auteur de l’infraction dispose de la faculté d’agir devant les tribunaux contre ceux lui devant garantie (Cass civ 2 21.01.1976 D 1976 pages 39).

La question de la possibilité pour l’assureur d’exercer pouvait donc se poser, mais elle ne conditionnait nullement l’imputation des prestations indemnitaires versées par ce dernier de l’indemnité allouée à la victime.

L’attendu de l’arrêt est très précis :

Vu les articles 1382, devenu 1240 du code civil, 388-1 du code de procédure pénale et L. 131-2, alinéa 2, du code des assurances ;
« Attendu que, selon le deuxième de ces textes, lorsque des poursuites pénales sont exercées, les assureurs appelés à garantir le dommage sont admis à intervenir et peuvent être mis en cause devant la juridiction répressive, même pour la première fois en cause d’appel, qu’aux termes du troisième, dans les contrats garantissant l’indemnisation des préjudices résultant d’une atteinte à la personne, l’assureur peut être subrogé dans les droits du contractant ou des ayants droit contre le tiers responsable, pour le remboursement des prestations à caractère indemnitaire prévues au contrat, et qu’il se déduit du premier que, même en l’absence d’intervention de l’assureur de la victime, lui ayant servi des prestations à caractère indemnitaire, les sommes mises à la charge de l’assureur du responsable doivent être diminuées du montant de ces prestations ;


Attendu qu’il résulte de l’arrêt attaqué et des pièces de procédure que, par arrêt du 21 mai 2015, la cour d’appel a déclaré, après relaxe, Mme Elisabeth X… civilement responsable de la collision survenue, le 19 septembre 2011, entre le véhicule automobile qu’elle conduisait, assuré auprès de la société Assurances du crédit mutuel (ACM), et la moto pilotée par M. Bruno Z…, qui, gravement blessé, a dû subir une amputation, a laissé à la charge de ce dernier la moitié de son préjudice, en raison de la faute qu’il avait commise, et a ordonné un complément d’expertise ;


Attendu qu’après avoir condamné, suite au dépôt du rapport d’expertise, Mme X… à verser à M. Z… la somme de 416 785,79 euros en réparation de certains chefs de son préjudice, les autres étant réservés dans l’attente d’une nouvelle expertise, l’arrêt, pour dire n’y avoir lieu à déduire de cette somme deux provisions, d’un montant total de 43 000 euros, versés à M. Z… par son propre assureur, la Mutuelle Assurance du corps sanitaire français (MACSF), énonce que l’éventuelle indemnisation de la victime par son assureur ne dispense pas l’auteur de l’infraction de réparer le dommage qui découle des faits qu’il a commis et que la MACSF ne dispose devant les juridictions répressives d’aucun recours subrogatoire ;


Mais attendu qu’en se déterminant ainsi, sans rechercher si les prestations versées à la victime par son assureur en vertu du contrat n’avaient pas un caractère indemnitaire, la cour d’appel n’a pas justifié sa décision au regard des textes susvisés ; »

L’article L. 131-2, alinéa 2, du code des assurances permet à tout assureur d’être subrogé dans les droits de la victime contre le responsable pour être remboursé des prestations indemnitaires versés en application d’un contrat d’assurance.

Parallèlement lesdites prestations, réputées indemnitaires, doivent être imputée de l’indemnisation.

En revanche, il n’est pas imposé que le mécanisme d’imputation soit mis en œuvre concomitamment avec le recours subrogatoire, dès qu’un tel recours existe potentiellement en raison du caractère indemnitaire de la prestation versée, il appartient au juge de procéder à un travail d’analyse.

Au cas d’espèce, le juge ne pouvait refuser de procéder à l’imputabilité au motif que l’assureur n’exerçait pas son recours subrogatoire (lequel pourra par ailleurs être exercé devant une juridiction civile).

Une nouvelle fois, la Cour de cassation explicite les règles d’application du recours subrogatoire, lesquelles nécessitent une expertise pointue que le cabinet MBPTD est en mesure de vous proposer.

 

Me Thibault LORIN - 2

Thibault LORIN

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