Par un arrêt du 5 juillet 2017 (n°16-25510) la Cour de cassation vient de confirmer, en y apportant une précision pédagogique, sa position sur l’absence d’engagement de la responsabilité d’un professionnel de santé, lors que sa faute n’a eu aucune conséquence dommageable pour le patient.
Au cas d’espèce, une patiente, hospitalisée le 30 mai 2008 pour une pneumopathie abcédée lobaire inférieure droite, décède le 7 juillet 2008.
Sa famille déplorant le comportement de plusieurs professionnels de santé, a intenté une action en justice estimant notamment que la patiente avait consulté un médecin urgentiste les 2 et 5 mai 2008, lequel avait prescrit des analyses biologiques, réalisées par un Laboratoire, ayant transmis trop tardivement les résultats.
Une expertise est ordonnée et, s’agissant du laboratoire, l’expert retient une transmission tardive donc fautive.
Selon lui, les résultats alarmants, nécessitaient une transmission immédiate au médecin prescripteur.
Malgré cela, l’expert ne se prononce pas sur une perte de chance d’évolution favorable pour la patiente, expliquant que, même si les résultats avaient été transmis immédiatement, ils n’auraient pas permis d’isoler le germe responsable de l’infection en l’absence d’investigations supplémentaires.
Se rattachant à ses conclusions, la Cour d’appel écarte aussi la perte de chance en qu’il n’existerait aucune certitude, que si les investigations avaient été menées, à compter du 27 mai 2008, elles auraient permis d’identifier le germe dans un délai suffisamment court pour la mise en place d’un traitement efficace.
La Cour de cassation censure ce raisonnement en rappelant : « Qu’en statuant ainsi, alors qu’une perte de chance présente un caractère direct et certain chaque fois qu’est constatée la disparition d’une éventualité favorable, de sorte que sa réparation ne peut être écartée que s’il peut être tenu pour certain que la faute n’a pas eu de conséquence sur l’état de santé du patient, le cour d’appel a violé le texte susvisé ; »
Cette position n’est pas surprenante.
En effet, la médecine étant une science par essence aléatoire, il est impossible de savoir quel aurait été le résultat final en l’absence de faute d’un professionnel de santé. C’est pour cela que l’indemnisation ne correspond pas à la totalité des conséquences induites par le dommage corporel, mais à une fraction de ce préjudice, soit une perte de chance.
Cela vaut tant pour les juridictions administratives (CE 25.03.2009 n°313231) que pour les juridictions de l’ordre judiciaire (Cass civ 1 17.03.2016 N° de pourvoi: 14-25636).
Le juge ne perd pour autant pas son pouvoir souverain d’appréciation, puisque dans l’hypothèse où il serait démontré avec certitude que le dommage résulte intégralement de la prise en charge, l’indemnisation peut être totale, la notion même de perte de chance étant écartée.
En revanche, logiquement, cela induit qu’une faute médicale n’est, en elle-même, pas suffisante pour engager la responsabilité d’un professionnel de santé, s’il est démontré que nonobstant ce manquement, le dommage se serait réalisé.
Il appartient au patient de démontrer qu’il disposait d’une éventualité favorable (soit de guérison soit d’évitement de l’aggravation de son état de santé) dont il a été privé par le manquement commis.
Cette application purement classique de la démonstration d’un lien de causalité entre le préjudice et la faute était la question essentielle de cette espèce puisque l’expert si il avait isolé une faute, demeurait incertain sur une éventuelle perte de chance et la Cour d’appel se retrancha derrière cette incertitude pour écarter la responsabilité.
Ce procédé est condamné par la Cour de cassation qui rappelle « qu’il doit être tenu pour certain que la faute n’a pas eu de conséquence sur l’état de santé du patient, ».
Si la Cour confirme une nouvelle fois, logiquement qu’un manquement médical n’ayant pas eu de conséquence sur l’état de santé du patient, ne peut donner lieu à indemnisation, elle rappelle qu’il est indispensable que cette absence de conséquence soit justifiée.
Or en l’espèce, ni l’expert, ni la Cour ne s’étaient prononcés sur ce point.
Par cet arrêt, la Cour de cassation invite indéniablement les experts à faire preuve de précision dans leurs rapports et naturellement, il appartient aux conseils des parties en cause d’insister pour que cette question soit parfaitement tranchée afin de permettre au juge de statuer, ce que le cabinet MPBTD s’efforce de rappeler lors de ses missions d’assistance.
Outre une réponse claire qui sera apportée au patient, cela évitera d’allonger des procédures aussi douloureuses pour eux que pour le corps médical concerné.
Thibault LORIN