Si la survenance d’un accident de la circulation est dramatique pour la victime, elle est également toujours source d’une compréhensible crainte pour le responsable de l’accident, lequel, outre de probables conséquences pénales pour les négligences commises, se retrouve souvent confronté à des demandes indemnitaires conséquentes.
La question de la mobilisation de son assurance est donc primordiale. A ce titre, bien avant l’adoption de la loi n°85-677 du 5 juillet 1985 relative à l’amélioration de la situation des victimes d’accidents de la circulation et à l’accélération des procédures d’indemnisation, la loi n°58-208 du 27 février 1958 avait déjà institué une assurance obligatoire en matière automobile.
Dès lors, l’intervention d’un assureur automobile est pratiquement automatique, puisque la circulation du véhicule est soumise à la souscription d’une assurance obligatoire destinée à garantir tous les accidents causés à des tiers.[1]
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Cette assurance obligatoire, régie par l’article L 211-1 du code des assurances, est considérablement encadrée dans un souci d’extension de la prise en charge et totalement distincte du droit commun de l’assurance.
Principalement, l’assureur ne peut pas stipuler un plafond de garantie pour l’indemnisation des dommages corporels (article R211-7 du code des assurances et surtout, les clauses d’exclusions sont encadrées.
En effet, alors que généralement les clauses d’exclusion sont valables dès lors qu’elles sont formelles et limitées (article L 113-1 alinéa 1 du code) et surtout rédigées de manière apparente (article L 112-4 du code), en matière d’assurance obligatoire, elles sont limitativement autorisées et concernent :
- La conduite sans permis (article R 211-10 1e du code des assurances) ;
- Le transports effectué dans des conditions de sécurité insuffisantes (article R 211-10 2e et A 211-3 du code) ;
- Les dommages survenus au cours de compétitions de sports mécaniques ou leurs essais (R 211-11 4e ) ;
- Les dommages provoqués ou aggravés par les matières dangereuses transportées par le véhicule.
Cela implique, que toute autre clause d’exclusion et notamment celle liée à une conduite sous l’emprise d’un état alcoolique (règle expressément rappelée à l’article L 211-6 du code des assurances) doit être réputée non écrite.
Ainsi une personne commettant un accident sous l’emprise de l’alcool, d’une part bénéficiera de la garantie de son assureur et d’autre part est à l’abri d’une action en remboursement de ce dernier. Tout au plus, il sera possible à l’assureur, immédiatement après le sinistre, de résilier unilatéralement le contrat d’assurance.
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Encore plus important, en application de l’article R211-13 du code des assurances, les limitations et exclusions de garantie, déjà réduites, ne sont pas opposables à la victime.
Cette règle est dérogatoire au droit commun de l’assurance de responsabilité puisqu’en application de l’article L 112-6 du code des assurances, l’assureur peut généralement opposer à la victime toutes les exceptions qu’il pouvait opposer au souscripteur.
En matière d’assurance obligatoire automobile, cette possibilité est légalement interdite, l’assureur devant couvrir le sinistre et indemniser la victime, quand bien même il disposerait d’une exception tenant à une limitation ou une exclusion de garantie.
La seule alternative réside dans un recours de l’assureur, soit via une action en remboursement, soit via un recours subrogatoire.
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Le recours de l’assureur ayant préalablement indemnisé la victime d’un accident de la circulation se traduit de deux manières, soit il s’agit d’un recours subrogatoire légal, la garantie étant acquise mais les circonstances de l’accident justifiant le recours de l’assureur.
Soit, lorsque la garantie n’était pas acquise mais que l’assureur n’a pu opposer cette exception à la victime et a dû procéder à son indemnisation, il exerce un recours en remboursement à l’encontre du conducteur.
Le premier recours est régi par l’article L 211-1 alinéa 3 du code des assurances : « L’assureur est subrogé dans les droits que possède le créancier de l’indemnité contre la personne responsable de l’accident lorsque la garde ou la conduite du véhicule a été obtenue contre le gré du propriétaire. ».
La logique d’exclusion est évidente puisqu’il s’agit de ne pas permettre au voleur d’un véhicule de pouvoir bénéficier de la garantie légale d’assurance.
Dans cette hypothèse, ce n’est pas un recours en remboursement puisque la garantie est acquise par le propriétaire du véhicule, mais l’assureur dispose d’un recours légal à l’encontre de celui ayant conduit le véhicule contre le gré de ce dernier ce qui nécessite au sens de la jurisprudence un « refus formel de confier la garde ou la conduite de son véhicule à un tiers non autorisé » (Cass Civ 2 3 février 2005 n°04-10342).
La seconde hypothèse demeure celle où le conducteur ne dispose pas du permis de conduire donc de circuler. Le code des assurances prévoit à l’article R 211-10 du code des assurances qu’il s’agit d’une clause d’exclusion admise, permettant ainsi à l’assureur d’obtenir le remboursement des sommes contre le responsable R211-13 alinéa 4.
Une exception est néanmoins prévue par ce même article, à savoir : « sauf en cas de vol, de violence ou d’utilisation du véhicule à l’insu de l’assuré ; ».
Cette rédaction demeurait assez floue dès lors que l’on pouvait en déduire que dès qu’un conducteur subtilisait un véhicule, sans commettre un vol, typiquement un enfant empruntant la voiture de ses parents, l’action en remboursement ne pouvait pas être mise en œuvre.
La Doctrine estimait qu’il ne fallait pas se méprendre sur la portée de cette exception et qu’elle ne bénéficiait qu’au souscripteur du contrat s’il était en même temps le responsable civilement du conducteur ne disposant pas du droit de circuler, mais pas contre le conducteur lui-même ne pouvait pas en profiter et demeurait toujours susceptible de rembourser.
La Cour de cassation a initialement suivi cette position :
« Vu les articles R. 211-10 et R. 211-13 du Code des assurances ;
Attendu qu’il résulte de la combinaison de ces textes, d’une part, que le contrat d’assurance automobile obligatoire peut comporter une clause excluant les sinistres de la garantie de l’assureur lorsque le conducteur, au moment du sinistre, n’était pas titulaire du permis de conduire exigé par la réglementation, d’autre part, que cette exclusion n’est pas opposable aux victimes, enfin, que l’assureur doit procéder au paiement de l’indemnité pour le compte du responsable non titulaire du permis de conduire, mais qu’il peut exercer contre ce dernier une action en remboursement pour toutes les sommes qu’il a payées ou mises en réserve à sa place ; »
(Cass Civ 2 ; 31 mars 1998 n°96-11747)
Le régime semblait posé, l’assureur disposait toujours d’un recours contre le conducteur non titulaire du permis de conduire en application de l’article R 211-13 alinéa 4, si une telle exception était prévue dans le contrat d’assurance, conformément à l’article R 211-10 du code des assurances.
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Pour autant, une triste affaire, jugée le 3 février 2005 a cependant confirmé une construction jurisprudentielle limitant le droit du recours de l’assureur.
Les faits étaient pathétiquement simples, un jeune homme titulaire du permis de conduire emprunte la voiture de son père pour se rendre à une soirée. Etant sous l’emprise de l’alcool, il laisse au retour le volant à une de ses amies, non titulaire du permis de conduire et également ivre. Un accident se produit en raison de la faute de cette dernière et l’ensemble des passagers du véhicule décèdent à l’exception de la conductrice et du jeune homme lui ayant laissé le volant.
L’assureur du véhicule a procédé aux indemnisations et voulu se retourner contre la conductrice en remboursement.
Logiquement la jeune fille ne disposant pas du permis de conduire et le contrat comprenant une exclusion de garantie pour défaut de titre de conduite, l’action devait être accueillie.
Pour autant la Cour d’appel rejette le recours en estimant que dès lors que la conduite a été obtenue « à l’insu » du souscripteur du contrat (en l’occurrence le père du jeune homme), il s’agit d’une exception à l’action en remboursement de l’assureur.
Manifestement la Cour d’appel avait appliqué au conducteur l’exception qui n’aurait dû bénéficier qu’au souscripteur du contrat d’assurance lorsqu’il est également le responsable civil du responsable.
Pour autant, la Cour de cassation rejette le pourvoi pour le motif suivant :
« Mais attendu que, d’une part, l’action en remboursement prévue par l’article R. 211-13.4 du Code des assurances n’est ouverte à l’assureur, aux termes de l’article R. 211-10 du même Code, qu’à l’encontre des conducteurs autorisés faisant l’objet d’une exclusion contractuelle de garantie ; que, d’autre part, le recours subrogatoire distinct ouvert à l’assureur par l’article L. 211-1, alinéa 3, du Code des assurances dans le seul cas où la garde ou la conduite du véhicule a été obtenue contre le gré du propriétaire, est subordonné à la preuve, qui incombe à l’assureur, que le propriétaire a exprimé un refus formel de confier la garde ou la conduite de son véhicule à un tiers non autorisé ; »
(Cass Civ 2 ; 31 mars 1998 n°96-11747)
Par cette décision, la Cour de cassation confirme la position de la Cour d’appel et celle qu’elle avait amorcée dans des arrêts précédents (Cass Civ 2 ; 23.09.2003 n°02-11316) à savoir que le recours en remboursement prévu par l’article R 211-13 alinéa 4 ne concerne que les conducteurs autorisés.
Dès lors, soit le conducteur non titulaire du permis est autorisé à conduire par le souscripteur du contrat d’assurance et dans ce cas l’assureur peut directement agir en remboursement contre lui, soit le conducteur n’est pas autorisé et dans ce cas le recours en remboursement n’est pas ouvert.
Dans ce cas la seule possibilité pour l’assureur de rentrer dans ses frais est de démontrer que le véhicule a été obtenu contre le gré du propriétaire, de manière à pouvoir mettre en œuvre le recours subrogatoire légal prévu par l’article L 211-1 précité.
Cette question tranche définitivement la difficulté liée à la conduite par des enfants non titulaires du permis de conduire du véhicule de leurs parents. Soit les parents laissent délibérément l’enfant conduire et auquel cas l’assureur peut agir en remboursement, soit l’enfant subtilise le véhicule et dans ce cas l’assureur ne peut plus agir dès lors qu’il ne s’agit pas d’un conducteur autorisé.
L’application de l’assurance obligatoire automobile implique la maitrise de concepts techniques nécessitant l’accompagnement par un professionnel du droit. Naturellement le cabinet MBPTD fort d’une pratique ancienne de ce sujet demeure à la disposition de toute personne susceptible de rencontrer des difficultés dans ce domaine.
Thibault LORIN
[1] La question de la garantie spécifique destinée à indemniser un conducteur victime ne sera en effet pas abordée lors de la présente présentation et sera l’objet d’un autre article.