Le feuilleton judiciaire de la question de la preuve de la défectuosité d’un produit responsable d’un dommage se poursuit comme l’atteste un arrêt rendu le 18 octobre 2017 par la première chambre civile de la Cour de cassation (pourvoi n°15-20.791).
Cette nouvelle s’inscrit dans le contentieux de la vaccination contre l’hépatite B, susceptible de provoquer des maladies démyélinisant, dont la sclérose en plaque, à l’occasion duquel le cabinet MBPTD a déjà publié.
L’intérêt de l’arrêt rendu le 18 octobre 2017 réside dans la première détermination par la Haute Juridiction des modalités d’application de l’arrêt rendu le la CJUE 21 juin 2017, Sanofi Pasteur c. CPAM Hauts-de-Seine, aff. C-261/15.
La Cour, confirmant en cela la position du cabinet confirme une simple évolution mais non une révolution du régime et permet de comprendre que si la question demeura entièrement soumise au pouvoir souverain d’application des juges du fonds, ces derniers sont contraints à une obligation de motivation particulièrement ferme.
L’analyse de cet arrêt nécessite plus un rappel du contexte judiciaire que des faits.
En matière de vaccination obligatoire, il est acquis qu’un vacciné peut agir à l’encontre du producteur du vaccin sur le fondement de la responsabilité du fait des produits défectueux, s’il estime le produit dangereux et doit pour cela démonter :
- Une défectuosité du produit ;
- Un lien de causalité entre cette défectuosité et son dommage.
En matière de vaccins et notamment contre l’hépatite B, la principale difficulté réside dans l’incertitude scientifique entourant la défectuosité ou non du produit.
Nous avions rappelé que si initialement la Cour de cassation estimait que l’incertitude scientifique était un obstacle à l’admission d’un lien de causalité entre vaccination contre l’hépatite B et maladie démyélinisant (Cass civ 1 23.09.2003 n°01-13063) un important arrêt du 22 mai 2008 a bouleversé approche, (Cass civ 1 22.05.2008 n°05-20317) en jugeant que tant la preuve de la défectuosité que du lien de causalité pouvait être rapportés par des présomptions graves, précises et concordantes.
Les juges du fonds doivent donc apprécier au regard de chaque dossier si le patient rapporte des éléments de preuve suffisants permettant de considérer comme établies des présomptions graves précises et concordantes.
Cela entraina logiquement un application démembrée de cette question en fonction des juridictions du fonds, une situation similaire pouvant trouver une réponse différente en fonction de la Cour saisie comme l’illustra une affaire soumise à la Cour de cassation au cours de laquelle les Cours d’appel de Paris puis de Versailles avaient pris des positions différentes.
La Cour de cassation interrogea donc la Cour de justice de l’Union Européenne, puisque le régime juridique de cette question est issu de la Directive n°85/374/CEE du Conseil de l’union européenne du 25 juillet 1985, visant à une harmonisation, en la matière, des législations des différents états membres.
En substance, la Cour de cassation interrogeait la Juridiction Européenne sur le point de savoir si le régime de responsabilité prévu par la directive de 1985 permettait de retenir tant l’existence d’un défaut du vaccin que le lien de causalité entre celui-ci, en l’absence de toute certitude scientifique, par un système de présomption de faits de l’homme relevant du pouvoir souverain du juge du fond ?
Si la réponse devait s’avérer négative, la seconde question portait sur la possibilité de retenir une présomption de droit.
La seconde question n’était pas innocente puisque par un arrêt rendu le 9 mars 2007 ( n° 267635 ) le Conseil d’état a pour sa part jugé que la proximité temporelle entre la première injection et les premiers symptômes et l’absence d’antécédents, suffisaient à retenir une présomption de lien de causalité.
Même si le Conseil d’état avait rappelé « les circonstances particulières de l’espèce » une présomption de droit était manifestement appliquée par la juridiction administrative et la juridiction judiciaire s’interrogeait sur la possibilité de procéder de la même manière.
Par l’arrêt rendu le 21 juin 2017, la CJCE a rappelé que si tant le lien de causalité que la défectuosité du produit pouvait être prouvés par présomptions de l’homme, en revanche aucune présomption de droit n’était envisageable en rejetant une preuve par au moyen « d’indices factuels prédéterminés de causalité ».
Par cet arrêt la Haute juridiction a confirmé l’application du régime actuel, à savoir une appréciation par les magistrats au cas par cas, en fonction des éléments de preuve, tant du défaut que du lien de causalité.
Une Doctrine avertie s’interrogeait, sur l’appréciation par la Cour de cassation des suites à donner à cette décision européenne rappelant qu’il était possible que la Cour de cassation unifie le contention en érigeant sa propre définition tant du lien de causalité que de la défectuosité puisque ces deux notions appartiennent à son contrôle.
Cette probabilité apparaissait cependant faible puisque ériger une telle définition aurait nécessairement conduit la Cour à prédéterminer des critères, ce que refuse justement la CJCE.
Dès lors un recours au pouvoir souverain des juges du fonds demeurait la seule issue.
L’arrêt rendu par la Cour de cassation le 18 octobre 2017 confirme cette analyse puisque la Cour de cassation rappelle que la détermination de la défectuosité d’un vaccin « appartient aux juges du fonds ».
Cela étant un autre apport ressort indéniablement de cette décision, à savoir le contrôle pugnace, précis et rigoureux porté par la Cour de cassation sur les éléments de faits ayant conduit la Cour d’appel à juger que la preuve de la défectuosité du produit n’était pas rapportée :
« Mais attendu qu’aux termes de l’article 1386-9, devenu 1245-8 du code civil, transposant l’article 4 de la directive 85/ 374/ CEE du Conseil, du 25 juillet 1985, relative au rapprochement des dispositions législatives, réglementaires et administratives des Etats membres en matière de responsabilité du fait des produits défectueux, le demandeur doit prouver le dommage, le défaut et le lien de causalité entre le défaut et le dommage ; que, dès lors, il lui incombe d’établir, outre que le dommage est imputable au produit incriminé, que celui-ci est défectueux ; que cette preuve peut être rapportée par des présomptions pourvu qu’elles soient graves, précises et concordantes ; qu’il appartient aux juges du fond ayant, au vu des éléments de preuve apportés par la victime d’un dommage, estimé qu’il existait de telles présomptions que le dommage soit imputable au produit de santé administré à celle-ci, d’apprécier si ces mêmes éléments de preuve permettent de considérer le produit comme défectueux ;
Qu’examinant si, tant la situation personnelle de Mme X…que les circonstances particulières résultant notamment du nombre des injections pratiquées établissent l’existence de présomptions graves, précises et concordantes du caractère défectueux des vaccins commercialisés par la société Sanofi et des doses injectées, l’arrêt retient, d’abord, qu’il résulte des différentes expertises exprimant un doute sur l’utilité de si nombreuses injections, que cet élément, relatif à l’utilisation du produit, voire à sa posologie, ne constitue pas une présomption permettant d’établir le caractère défectueux des vaccins administrés ;
Qu’il considère, ensuite, que le délai écoulé entre la dernière vaccination et l’apparition des symptômes ne constitue pas non plus une présomption suffisante en raison de la difficulté à dater précisément les premiers troubles de Mme X…, de la multiplicité des injections pratiquées et des éléments de nature scientifique remettant en cause la durée du délai jusqu’à présent admise pour caractériser l’existence d’un défaut ;
Qu’il constate, en outre, que les doutes sérieux exprimés par certains experts sur l’existence d’un lien entre le vaccin et la maladie ne peuvent constituer une présomption, dès lors que le défaut d’un vaccin ne peut se déduire de l’absence de certitude scientifique de l’innocuité du produit ;
Que l’arrêt relève, de plus, que le fait que Mme X…ait été en bonne santé avant la vaccination, comme 92 à 95 % des malades atteints de scléroses en plaques, et qu’elle soit issue d’une population faiblement affectée par la maladie sont insuffisants, à eux seuls, à établir le défaut du produit ;
Qu’il ajoute, enfin, qu’en ce qui concerne la présentation du produit, le risque de contracter la sclérose en plaques, qui n’était pas mentionné lorsque les vaccins ont été administrés à Mme X…, entre 1986 et 1993, n’est apparu dans le dictionnaire médical Vidal et les notices des vaccins qu’en 1994, année au cours de laquelle a été menée une enquête nationale de pharmacovigilance, de sorte qu’il ne peut être reproché à la société Sanofi un défaut d’information à cet égard ;
Qu’en déduisant de ces constatations et appréciations souveraines qu’il n’est pas établi que les vaccins administrés à Mme X…étaient affectés d’un défaut, la cour d’appel, qui ne s’est pas exclusivement fondée sur des circonstances générales tirées du consensus médical existant à la date des injections, qui a procédé à la recherche visée par la deuxième branche et n’était pas tenue de faire les recherches visées par les quatrième, cinquième et sixième branches, que ses constatations rendaient inopérantes, a légalement justifié sa décision, abstraction faite des motifs surabondants critiqués par la septième branche ; »
Tout d’abord la Cour de cassation dissèque chacun des moyens adoptés par la Cour d’appel et surtout pose une interdiction de principe à savoir l’interdiction de se fonder « sur des circonstances générales tirées du consensus médical existant à la date des injections ».
Il faut déduire de cet arrêt que si la Cour de cassation n’entend pas imposer sa propre définition de la défectuosité ou du lien de causalité, en revanche, elle entend procéder à un contrôle de motivation des décisions de justice extrêmement sévère.
Cela impliquera que les arrêts insuffisamment motivés seront cassés pour défaut de motifs ou dénaturations, invitant les magistrats rendant leurs décisions a une extrême rigueur.
Logiquement il appartiendra au patient de présenter un dossier complet pour emporter la conviction du magistrat et cette composition nécessite des connaissances solides et une pratique éprouvée que le cabinet MBPTD met à votre disposition.
Thibault LORIN