Un arrêt rendu le 29 mars 2018 par la 2e chambre civile ( n°17-15260) de la Cour de cassation s’avère extrêmement sévère pour les victimes de préjudices corporels, en l’espèce issu d’un accident de la circulation.
L’honneur d’une publication au bulletin de cette décision témoigne d’une position assumée de la Cour de cassation sur la question des conditions de déduction de la créance des tiers payeurs. Nous pensons cependant qu’une autre position, prise à la lumière du projet de réforme sur la responsabilité délictuelle présentée par la Chancellerie était possible le 13 mars 2017 était possible.
Manifestement en assumant de ne pas s’en inspirer, la Cour de cassation assoit sa position, pourtant contraire à celle tenue par les juridictions administratives.
Une nouvelle fois, les faits étaient simples. Un homme est victime d’un accident de la circulation occasionnant un grave préjudice corporel. Ayant déclaré ce préjudice à son organisme de protection social, la CPAM lui verse plusieurs prestations et notamment une pension d’invalidité.
Une action en indemnisation est intentée contre l’assureur du véhicule et la CPAM est régulièrement mise en cause conformément à l’article L 376-1 du code de la sécurité sociale, afin de fournir sa créance.
La difficulté était que la caisse ne pouvait pas évaluer, dans ce cas précis, les débours représentés par les arrérages de pension versée et aussi la capitalisation pour le futur. Elle se référait au protocole de 1983 concerne le recouvrement des créances des organismes de protection sociale auprès des Entreprises d’Assurances, à la suite d’accidents causés par des véhicules terrestres à moteur et par des bicyclettes.
Or en tant que prestation versée par un organisme de protection sociale, la CPAM dispose d’un recours subrogatoire sur l’indemnité pour l’intégralité des sommes versées, en ce compris la pension d’invalidité.
Plus précisément, la Cour de cassation juge de manière constante que les prestations versées doivent au titre de la pension d’invalidité doivent être déduites du poste de préjudice professionnel représentant la perte de gains professionnels futurs, l’incidence professionnelle et le reliquat du déficit fonctionnel permanent.
La Cour d’appel s’est retrouvée dans une position surprenante, de devoir déduire une prestation qu’elle ne pouvait pas évaluer et qui surtout n’était pas réclamé par la Caisse.
Elle jugea donc : « le principe de la réparation intégrale due par l’assureur s’oppose à ce que la pension non réclamée par la caisse primaire d’assurance maladie soit déduite de l’indemnisation mise à la charge de celui-ci ; ».
L’assureur forme un pourvoi en cassation rappelant que pour la détermination de l’indemnité complémentaire revenant à la victime en réparation de son préjudice soumis à recours, doivent être prises en compte toutes les prestations versées par les tiers payeurs subrogés, même si ces derniers n’exercent pas leur recours ou le limitent à une somme inférieure.
La Cour de cassation fait droit à sa demande et casse l’arrêt sur le fondement des articles 29 et 31 de la loi n° 85-677 du 5 juillet 1985 modifiée, ensemble le principe de la réparation intégrale sans perte ni profit pour la victime.
« Qu’en statuant ainsi, en réparant le préjudice soumis à recours de M. X… sans déduire la pension d’invalidité servie par la caisse primaire d’assurance maladie qui s’impute, même si celle-ci n’exerce pas son recours, sur les pertes de gains professionnels futurs, l’incidence professionnelle et, en cas de reliquat, sur le déficit fonctionnel permanent, la cour d’appel a violé les textes et le principe susvisés ; »
La position est précise, s’agissant des postes de préjudices soumis à recours, le principe de la réparation intégrale commande de déduire toutes les prestations versées par les tiers payeurs, quand bien même leurs remboursements ne seraient pas sollicités.
Cela apparait extrêmement compliqué pour les victimes, puisqu’elles devront déduire une prestation qui ne sera pas évaluée par le tiers payeur.
En effet, s’agissant de la capitalisation pour l’avenir de la pension d’invalidité, il convient de rappeler qu’elle obéit à des règles de capitalisation propres aux organismes sociaux, auxquels les victimes de préjudice corporels ont difficilement accès.
Il appartiendra donc à celles-ci, mais également au juge, de contraindre l’organisme social a produire sa créance conformément à l’article 15 du décret n° 86-15 du 6 janvier 1986.
Surtout, un autre enseignement de cet arrêt est l’assiette du recours.
La Cour de cassation rappelle, alors qu’elle n’y était pas contrainte, que ces prestations peuvent s’imputer sur le reliquat du déficit fonctionnel permanent.
Un vrai débat perdure sur cette possibilité puisque le poste de déficit fonctionnel permanent est un préjudice extrapatrimonial, indépendant de toute considération professionnelle.
Conformément à l’article 31 excluant du recours les postes de préjudices à caractère personnels, il devrait être préservé de tout recours.
C’est ce qu’a décidé la juridiction administrative (CE 8 mars 2013, req. n° 361273) et c’est surtout dans ce sens que s’inscrit le projet de réforme de la responsabilité délictuelle dans son projet d’article 1276 du code civil.
La Haute juridiction avait par cet arrêt une possibilité de modifier sa position. Cela n’est pas le cas et témoigne d’une volonté affirmée mais surtout assumée de la Cour de cassation de maintenir le poste de déficit fonctionnel permanent dans l’assiette du recours des tiers payeurs.
Cette décision est donc particulièrement sévère pour les victimes de préjudices corporels et il est important que celles-ci soient accompagnées tout au long du processus indemnitaire. Naturellement le cabinet MBPTD est a votre disposition pour chaque étape.
Thibault LORIN