Réparation du préjudice corporel

L’absence d’activité professionnelle au jour de l’accident n’équivaut pas au rejet d’un préjudice professionnel – par Thibault Lorin

La jurisprudence actuelle de la Cour de cassation, relativement au préjudice professionnel, est d’une lourde richesse. Naturellement, il serait impossible de retranscrire son évolution en quelques lignes.

Rappelons simplement qu’il a été récemment jugé qu’une perte de gains professionnels futurs totale nécessite la vérification que la victime est dans l’impossibilité définitive d’exercer sa profession ( Cass Civ 2 24 mai 2018 n°17-18384) sans qu’il soit en revanche possible de partir du postulat qu’une victime n’ayant pas repris son activité peut prétendre à un salaire au moins égal au SMIC (Cass Civ 9 mai 2019 (n° de pourvoi 18-14839).

Aussi, si l’indemnisation viagère de la perte de gains professionnels futurs semble, contrairement à la nomenclature applicable, s’opposer à l’indemnisation corrélative d’une incidence professionnelle (Cass civ 2, 13 septembre 2018 n°17-26.011) il n’en va pas de même si l’indemnisation est calculée sur un indice de rente temporaire (18 avril 2019-Cass civ 2 n°18-15086).

Ces jurisprudences, alarmantes pour certaines, conformes à la liquidation des préjudices corporels de victimes d’accidents de la circulation, vie ou médicaux pour d’autres, permettent de dresser un amer constat : l’imprévisibilité de l’application de la matière par les juridictions.

Effectivement, alors que la nomenclature DINTHILLAC, et l’application qui en est faite par la Haute Juridiction, semblent fermes et accessibles, force est de constater que certaines décisions de première instance et d’appel démontrent que la matière n’est pas toujours maniée avec évidence.

L’arrêt rendu le 28 mai 2019 par la Chambre criminelle de la Cour de cassation (n°18-82877) en est la preuve.

Un homme, âgé de 36 ans, maçon mais n’exerçant plus depuis trois mois est victime d’un accident de la circulation occasionnant une inaptitude professionnelle définitive.

Cette victime sollicite logiquement une indemnisation de son préjudice professionnel, exposant ne plus pouvoir percevoir de revenus.

Il ne le sera jamais assez martelé, mais la nomenclature Dintilhac n’exclut pas l’indemnisation de la perte de gains professionnels futurs des victimes en recherche d’activité. Il suffit pour s’en convaincre de rappeler que la nomenclature réserve la situation des jeunes enfants, impliquant de recourir à un revenu par estimation. Seule est interdit le recours à des revenus hypothétiques ou injustifiés (Cass Civ 2 ; 3 juillet 2014 n°13.22.416) s’agissant notamment d’une victime non encore entrée dans le monde du travail. Dans cette hypothèse il convient de recourir à la notion de préjudice de carrière, composante de l’incidence professionnelle, via une modalité d’indemnisation pouvant capitaliser une perte de chance de revenus prévisibles.

En revanche, dès lors que le revenu avait déjà été perçu par le passé et que la victime d’un préjudice corporel démontre son impossibilité de pouvoir à nouveau y prétendre, en conséquence de son accident, la perte est constituée.

Or, comme le Tribunal, la Cour d’appel d’Aix en Provence rejette la demande, estimant que la victime ne travaillait plus et qu’en conséquence tout calcul d’une perte de gains professionnels serait basée sur un revenu nécessairement hypothétique.

La censure semblait évidente et heureusement prononcée par la Cour de cassation rappelant, sur le fondement de la réparation intégrale, que :

« Attendu que le préjudice résultant d’une infraction doit être réparé dans son intégralité, sans perte ni profit pour aucune des parties ;

(…)

 Mais attendu qu’en statuant ainsi, alors qu’ayant constaté que l’inaptitude de la victime à exercer sa profession ne préexistait pas à l’accident il lui appartenait d’indemniser la perte de chance d’exercer une activité professionnelle, la cour d’appel n’a pas justifié sa décision ; »

Une victime ne pouvant plus exercer une activité professionnelle précédemment valorisante ne peut prétendre à une indemnisation totale de son ancien revenu, non perçu au moment de l’accident, mais subi nécessairement une perte de chance, indemnisable, d’exercer une activité professionnelle.

Il est parfois regrettable qu’il faille plusieurs années de procédure pour que certaines évidences soient rappelées par la Cour de cassation. Ce parcours se révèle épuisant pour les victimes de préjudices corporels.

Thibault LORIN

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