Par son arrêt du 10 avril 2019, le Conseil d’État apporte d’heureuses précisions sur la qualification du dommage causé par un ouvrage public. Cette qualification est déterminante puisque, selon la nature permanente ou accidentelle du dommage, les tiers obtiendront plus ou moins facilement la réparation de leur préjudice.
Les faits ayant abouti à cette décision de la plus haute juridiction administrative sont les suivants. En 2008, la société EDF avait procédé à des lâchers d’eau au niveau de plusieurs barrages établis sur l’Isère, notamment à Saint-Égrève au sein de l’agglomération grenobloise.
Cette opération, qui n’avait plus été réalisée depuis 2004, avait pour but d’envoyer vers l’aval des sédiments au moyen d’une impulsion donnée par le lâcher d’eau.
Cependant, la masse exceptionnelle des sédiments accumulés dans l’Isère puis déversés dans le Rhône a provoqué l’envasement des aménagements de la société CNR, concessionnaire d’usines hydroélectriques.
À la suite d’une vaine réclamation formulée par cette société auprès d’EDF, d’un jugement du tribunal administratif de Grenoble et d’un arrêt infirmatif de la CAA de Lyon, le Conseil d’État a donc été amené à trancher la question du caractère permanent ou accidentel des dommages subis par la victime.
L’enjeu est important car si les dommages sont qualifiés d’accidentels, le tiers n’est pas tenu de démontrer le caractère grave et spécial de son préjudice. À l’inverse, il doit rapporter cette preuve lorsque le dommage causé par l’ouvrage public est permanent.
Dans cette affaire, le Conseil d’État a retenu la première hypothèse et cassé l’arrêt rendu par la cour administrative d’appel de Lyon. Il considère que cette dernière a inexactement qualifié les faits qui lui étaient soumis en estimant que les dommages causés par la société EDF à la société CNR ne présentaient pas de caractère accidentel et en en déduisant qu’il incombait à celle-ci de démontrer la gravité et l’anormalité de son préjudice.
Pour opérer cette requalification juridique, les juges du Palais-Royal ont pris en considération l’ampleur exceptionnelle de l’accumulation des sédiments et la diminution du débit du Rhône à cette époque. Dès lors, les dommages subis par la société CNR ne sont pas liés à l’existence même ou au fonctionnement normal des barrages exploités par EDF.
En somme, cet arrêt du Conseil d’État illustre la complexité des mécanismes de responsabilité de l’administration en matière de dommages de travaux publics et d’ouvrages publics.
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