Le cabinet MBPTD vient d’obtenir, le 5 juillet 2018, une décision du Tribunal de Grande Instance particulièrement intéressante s’agissant de la liquidation du préjudice corporel d’une victime encore adolescente et scolarisée au jour de l’accident.
Immédiatement, il est convenu que ce jugement est pour partie discutable. D’une part en ce que malgré une démonstration nourrie et étayée, le Tribunal n’indique pas, et alors que les montants alloués ne sont pas forfaitaires, les quantums, taux et barèmes de capitalisation ayant justifié sa décision. D’autre part, certains postes de préjudices apparaissent trop faiblement quantifiés au regard de la jurisprudence habituelle.
Cela étant, ces entorses sont partiellement compensées tout d’abord par l’obtention du doublement des intérêts au taux légal à compter de délai légal d’offre, par le fait que, suivant l’argumentation du cabinet, le Tribunal a retenu un besoin en tierce personne « plus grand que les quatre heures hebdomadaires retenues par l’expert » et surtout par la reconnaissance pour la victime d’une perte de gains professionnels tant actuels et futurs.
Les faits étaient anciens et particulièrement éprouvants. En juin 2007, un jeune garçon de 15 ans est victime d’un grave accident de la circulation entrainant des conséquences orthopédiques particulièrement grave au niveau de sa jambe gauche. Les séquelles seront extrêmement lourdes, nécessitant plusieurs opérations et hospitalisation pour finalement aboutir à une consolidation de son état de santé en septembre 2014, soit plus de 7 ans après l’accident.
Il conservait, outre des souffrances quotidiennes, une boiterie l’empêchant d’évoluer sur des terrains instables. Cela représentait la subtilité de cette procédure. En effet quoiqu’encore scolarisée, cette jeune victime avait une vision bien précise de son avenir professionnel et désirait devenir géomètre topographe expert. Pour ce faire il était scolarisé en BEP géomètre-topographe et donnait entière satisfaction.
L’accident avait brisé cette perspective et contraint ce jeune garçon à se reconvertir dans un autre cursus. Faisant montre d’une volonté évidente, confirmé par un cursus de danse au niveau national, malgré son handicap, persévéré et finalement obtenu un diplôme dans le secteur de la vente et obtenu un emploi pour lequel il recevait une rémunération, composée d’une partie fixe et variable, plus élevée que le revenu médian.
Au jour de la liquidation de son préjudice, il était un jeune homme marié, père de famille et actif.
Fort de ce parcours admirable, l’assureur proposait une indemnisation de 217.000 € estimant notamment qu’il n’était pas possible de retenir une perte de gains professionnels futurs mais seulement une incidence professionnel.
En effet, la nomenclature Dinthillac a consacré la perte de gains professionnels actuels destiné à indemniser la victime de sa perte de revenus entre la date du fait dommageables et la consolidation comme la perte de gains professionnels futures indemnisant la perte totale ou partielle de ses revenus après la date de consolidation qu’elle soit viagère ou limitée dans le temps.
Par essence, ce poste de préjudice présuppose un revenu préalable au fait dommageable afin de pouvoir apprécier et évalué une différence indemnisable entre la situation précédant l’accident et la situation actuelle.
La situation des victimes ne travaillant pas au jour de l’accident, notamment les enfants et adolescents est par voie de conséquence plus implexe.
La jurisprudence soit attend que la victime soit en âge de travailler pour liquider le préjudice (Cour d’appel, Bordeaux, 1re chambre civile, 5 Avril 2017 – n° 15/02982) soit retient souvent une perte d’employabilité, indemnisée au titre de l’incidence professionnelle (Cour d’appel, Bordeaux, 1re chambre civile, 3 Avril 2017 – n° 15/04242).
S’agissant des séquelles lourdes, s’il est établi que la victime sera apte à travailler mais uniquement au titre d’un emploi aidé notamment par une embauche en établissement spécialisé (ESAT), le calcul consistera à déduire cette rémunération du revenu médian pour obtenir une différence qui constituera la base de calcul (Cour d’appel, Besançon, 1re chambre civile, section A, 10 Juin 2009 – n° 08/01767).
Il est par conséquent plus délicat de faire juger le principe d’une perte de gains professionnels futurs lorsque la victime est bien intégrée dans le marché du travail. Pour cela, il est impératif de démontrer d’une part la potentialité de réussite d’une jeune victime dans un secteur donné et d’autre part la rémunération à laquelle elle pourrait prétendre dans ce secteur.
Au cas d’espèce, le cabinet a communiqué tous les justificatifs scolaires antérieurs et postérieurs à l’accident afin de convaincre de la certitude de l’accession de celle-ci à la catégorie professionnelle à laquelle il se destinait, celle de géomètre topographe expert. Cette démonstration a été facilitée par le parcours exemplaire de ce jeune homme.
Par la suite, le cabinet a reconstitué tant la rémunération médiane d’un géomètre topographe expert que l’entrée dans le monde du travail pour les prétendants à cet emploi. Ensuite il a été reconstitué la rémunération médiane prévisible de la victime dans son secteur professionnel actuel afin de permettre le calcul d’une perte de revenu viagère mais également d’une perte de revenus actuels.
Le Tribunal a fait droit au principe de l’indemnisation de ces deux postes de préjudices.
S’agissant de la perte de gains professionnels actuels, il est jugé: « Monsieur Y sollicite à ce titre non pas une perte de revenus effective mais la perte de chance de percevoir, sur la période avant la consolidation, de revenus plus importants s’il n’avait pas été victime de l’accident litigieux ; qu’il est à cet égard constant que la victime au regard de ses capacités, de son parcours et de son environnement peut prétendre à une indemnisation de ce chef si elle justifie qu’elle aurait travaillé pendant la période précédant sa consolidation ; qu’au vu des pièces produites aux débats, Monsieur Y peut ainsi prétendre de ce chef, la perte de chance ne pouvant par principe par être égale au préjudice réel, à une indemnité ».
S’agissant de la perte de gains professionnels futurs, le Tribunal juge : « Monsieur Y justifie qu’au jour de l’accident, il était en fin de première année de BEP, géomètre-topographe ; que ses bulletins scolaires attestent de sa motivation ; qu’il a été admis en deuxième année de BEP mais n’a pas pu suivre sa formation ; qu’il justifie de son sérieux dans le suivi de ses études puisque, suite à un changement d’orientation lié à ses difficultés physiques, il a obtenu son BEP Vente et son BAC pro Vente avec la mention AB ; que son activité de danseur à un niveau national atteste en reste en elle-même de sa rigueur et de son sérieux ; que Monsieur Y justifie ensuite de la rémunération d’un géomètre-topographe à ses débuts puis au fil de son évolution professionnelle ainsi que de sa rémunération actuelle ; que s’il est exacte, ainsi que l’allègue à juste titre la compagnie, que pour prétendre à la rémunération finale indiquée par Monsieur Y un nombre certains de paramètres doivent être pris en considération, lesquels réduisent corrélativement la certitude que l’intéressé y serait arrivé, il n’en reste pas moins qu’au vu de ce qui précède, le principe même d’une perte de gains professionnels est acquise ; ».
Cette motivation courte mais efficace, témoigne de l’importance de la constitution du dossier pour étayer une demande d’indemnisation. La liquidation d’un préjudice corporel repose sur le pouvoir souverain d’appréciation des juges lesquels ne peuvent se prononcer sans une démonstration solide. En effet, outre l’indemnisation allouée, la reconnaissance du principe d’une perte de gains et donc d’une chance d’accéder au métier choisi pour une victime d’un préjudice corporel est tout aussi symbolique qu’essentiel.
Le cabinet MBPTD se réjouit bien entendu pour ce jeune homme de la reconnaissance des postes de préjudices primordiaux pour lui.
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